Evaluation formative, vers une équité des résultats

                                                                                                   Mohamed Azizoun

Le mérite revient incontestablement aux sociologues à manifester l’intérêt pour l’équité dans le contexte de l’éducation, juste après les constats des courants conflictualistes qui ont dévoilé la non-neutralité de la culture de l’école, qui au lieu d’être une institution où les inégalités se réduisent, et que chaque apprenant quelle que soit son appartenance sociale devrait avoir sa chance à tracer son trajet, elle remplit paradoxalement une fonction de reproduction consistant à reproduire les mêmes structures sociales en générant des inégalités scolaires. Le contexte est marqué par des demandes d’incarner le principe de justice sociale dans le sens que chacun est semblable dans l’attribution des ressources en privilégiant l’aspect quantité en la défaveur de l’aspect qualité des ressources, ou en allouer davantage aux défavorisés dans ce qu’on a nommé une discrimination positive. Néanmoins, ses interventions n’ont guère atténué les inégalités scolaires, les dispositifs de compensation tels que les programmes de soutien scolaire et de la différenciation pédagogique n’arrivent pas de même à endiguer l’échec scolaire, et le questionnement sur le comment traiter les différences entre les apprenants reste au cœur des préoccupations.

La composante reprochée dans ce processus est sans conteste, l’évaluation scolaire ; qu’il s’agisse des évaluations continues administrées tout au long de l’année scolaire ou des examens normalisés, elle se caractérise par un excès de mesures quantitatives tout en laissant fuir les informations susceptibles d’œuvrer en faveur des objectifs de l’apprentissage.

Il est toutefois unanimement admis actuellement le rôle décisif que joue l’évaluation dans le devenir des apprenants. De ce fait, l’intérêt pour cette composante semble plus important que jamais.

Cette réflexion sera limitée à la problématique de l’évaluation formative comme étant un outil interactif ciblé sur les besoins des apprenants, et c’est dans son cadre que l’enseignant pourrait mettre en application tous les apports théoriques comme un levier pour atteindre un des aspects de l’équité qui sera celui des résultats. L’équité des résultats ne signifie pas que tous les apprenants doivent obtenir les mêmes scores, ce que ce concept engage en revanche, c’est que les différences entre les apprenants en termes appartenance socio-économique ou environnements scolaires (propices à l’apprentissage ou difficiles…) ou plus encore les parcours antérieurs des apprenants … ne doivent jamais avoir des répercussions sur leur performance, et par conséquent leur réussite.

Nul ne contredirait que la mission principale d’un enseignant est d’amener ses apprenants vers l’autonomie et les aider à s’améliorer de façon continue. Pour répondre à cette logique, l’enseignant doit utiliser entre autres, les méthodes et les techniques de l’évaluation formative ; d’une part pour lier l’évaluation à des enjeux d’apprentissage et non seulement de certification et d’écrémage,  d’autre part, pour bénéficier des bienfaits de cette composante dans l’amélioration des niveaux des apprenants ; L’évaluation formative peut réduire les écarts entre les performances des apprenants et les objectifs visés, elle permet également d’identifier les besoins et d’ajuster la pratique enseignante selon les exigences des apprenants en difficulté. De ce fait, elle demeure un outil incontournable pour déterminer les facteurs à l’origine des écarts entre les apprenants et chercher à pallier les difficultés et améliorer par conséquent leur travail et leur rendement.

« Evaluation formative » est un terme inventé par Scriven en 1967 dans le contexte de gestion des programmes éducatifs. En 1971, Bloom reprend le concept dans le contexte d’apprentissage pour l’application de la pédagogie de maîtrise où l’apprenant en difficulté doit effectuer une régulation corrective après un feed-back ou rétroaction de l’enseignant quand une notion n’est pas acquise avant de passer à l’apprentissage suivant.

Pour Gilbert DE Landsheere, l’évaluation formative a pour but de dresser un état d’avancement, et de reconnaître où et en quoi un élève éprouve une difficulté et de l’aider à la surmonter. Cette évaluation ne se traduit pas en notes, et encore moins, en scores. Il s’agit d’une information en retour pour l’élève et pour le maitre.

Dans un document conçu par le département « Mesure et Evaluation » de l’université LAVAL du Québec à l’intention des acteurs du ministère de l’éducation nationale au Maroc, Jeannine Lavoie-Sirois définit l’évaluation formative comme étant une approche de vérification pédagogique qui vise expressément à favoriser l’apprentissage de l’élève en remédiant sans tarder aux difficultés qu’il peut rencontrer tout au long de sa démarche.

Dans la même lignée, l’organisation de coopération et développement économique OCDE définit le concept ainsi : « l’évaluation formative désigne les évaluations interactives fréquentes des progrès et des acquis des élèves dans le but d’identifier les besoins et d’ajuster l’enseignement en conséquence »

Se réclamer de l’évaluation formative, c’est évaluer en continu les progrès des apprenants dans le cadre de la progression vers les objectifs fixés. Sa préoccupation majeure consiste à recueillir les informations susceptibles d’apporter les améliorations nécessaires et d’adapter dès lors son action enseignante en fonction de ces progrès. La mesure ne doit plus être privilégiée, et l’observation doit porter sur le cheminement que l’apprenant a parcouru dans l’acquisition des connaissances et le développement des compétences et non pas sur le produit final.

Toutefois, l’opérationnalisation de l’évaluation formative soulève des défis :

  • Contrainte organisationnelle : une analyse apparente de la documentation officielle en matière évaluation relève une obligation en faveur de l’évaluation sommative majoritairement sélective afin de gérer les flux scolaires, et qui induit spontanément un engagement de tous les acteurs éducatifs, à l’opposé d’une non-obligation de l’évaluation formative. Le plus dramatique dans les orientations officielles c’est qu’elles optent pour une double fonctionnalité des évaluations scolaires : la première implique des décisions d’ordre administratif consistant à donner des notes influençant le parcours scolaire de l’apprenant comme elles deviennent un repère pour prendre les décisions de réussite et d’échec; et une deuxième formative consistant à relever les informations permettant la régulation des apprentissages que l’ajustement de la pratique enseignante ; Il s’agit ici de situer les apprenants par rapport aux objectifs assignés et repérer les insuffisances éventuelles afin de les pallier.

Certes, les résultats sommatifs peuvent servir des fins formatives via des retours de qualité.  L’évaluation formative peut également prendre un aspect informel dans un cadre non-instrumenté appelé selon LINDA ALLAL l’approche interactive. Cependant, il s’avère plus efficace d’instrumenter l’évaluation formative par des outils adaptés à la fonction de diagnostic des difficultés, d’identification des besoins des apprenants et d’adaptation continue de l’enseignement. L’évaluation d’après Bloom peut apporter un feedback plus efficace, si elle était exclue du processus de notation.

  • Inadéquation des pratiques et outils évaluatifs : l’évaluation au niveau de la pratique enseignante est en majorité sommative. Elle est orientée vers les objectifs de performance que sur la maitrise des apprentissages. En fin de compte, inutile de considérer une évaluation comme formative si elle ne s’intéresse aux démarches des apprenants et ne cherche la réussite de tous. Car c’est bien là son intérêt : évaluer une progression dans l’apprentissage afin de détecter le plus tôt possible les lacunes des apprenants pour y apporter un remède avant que ne s’installe l’échec. Cependant, l’évaluation formative suppose une appropriation méthodologique spécifique.

Ainsi, on dispose d’une distinction d’une panoplie d’outils appropriés à l’évaluation formative proposée par Gérard Scallon dans son ouvrage « l’évaluation formative des apprentissages 1988 ». L’enseignant peut faire recours à ses instruments dans la mise en place de son dispositif instrumenté à savoir : le test de connaissances, le test de maitrise, l’épreuve hiérarchique, le test diagnostique, le test des erreurs systématiques, la grille d’évaluation avec échelons uniformes, la grille d’évaluation avec échelons descriptifs, liste de vérification…

L’observation de la pratique témoigne un décalage flagrant entre les apports théoriques, les politiques évaluatives prônées en matière évaluation formative et la réalité en salle de classe. Les enseignants favorisent l’aspect sommatif de l’évaluation dans le but de sélectionner au détriment de la fonction formative de l’évaluation peu présente dans leur pratique en classe. Ils font recours généralement à des interrogations et examens écrits dont les niveaux évalués se limitent aux connaissances déclaratives.

  • Evaluation formative, lourde tâche : La particularité de la composante évaluation formative consiste à ce que l’enseignant est le seul acteur qui s’en occupe. Il doit être vigilant et attentif à l’apprenant da façon continue lors de son apprentissage pour recueillir les informations pertinentes avant d’agir. Il a également la responsabilité de l’élaboration des instruments rigoureux sur le plan théorique pour recueillir les renseignements, la responsabilité de fixer des niveaux de performance, suivre les progrès de ces apprenants vers ses niveaux, et enfin l’acte d’exploitation des données issues des évaluations pour ajuster sa pratique, déceler les difficultés, diagnostiquer leurs causes, communiquer les résultats, et prendre les décisions relatives à la remédiation des dysfonctionnements.

Toutefois, les enseignants éprouvent des difficultés à intégrer l’aspect formatif de l’évaluation se trouvant ainsi face à la contrainte de diversité de niveaux des apprenants dans des classes souvent pléthoriques. Ce qui augmente la lourdeur et la complexité de cette tâche, et dans un contexte marqué par un manque inquiétant de formation et d’encadrement pour ce qui est évaluation des apprentissages ; thème souvent négligé au niveau des rencontres pédagogiques et des visites des encadrants que les conseils de l’établissement. le rapport analytique de la mise en œuvre de la charte nationale de l’éducation et formation 2014 a approuvé ce dysfonctionnement dû à l’absence des structures dédiées à la formation des formateurs, la courte durée de la formation, l’absence de critères pour choisir les établissements et les acteurs chargés de la mise en situation professionnelle, le manque des encadrants pour accompagner les stagiaires dans leurs parcours, ainsi que le problème de formation continue lié en premier lieu aux projets à introduire à l’école et non pas aux besoins des enseignants. De ce fait, le besoin de l’évaluation formative exige la formation de ressources humaines qualifiées.

  • Absence d’adaptation de la pratique enseignante : tel que rapporté, une des fonctions de l’évaluation formative est la régulation. Il s’agit de préparer de futures activités pour adapter son action pédagogique en fonction des progrès des apprenants. Pour l’enseignant, intégrer l’aspect formatif dans son agir évaluer lui permet de voir l’adéquation entre sa stratégie pédagogique employée et les objectifs visés, de faire prendre conscience aux apprenants de leurs difficultés, de dépister leurs insuffisances, et de proscrire les remédiations correctives. L’évaluation formative peut également aider l’enseignant à évoluer par diverses actions favorisant le changement de sa pratique que sa réflexivité.

Toutefois, les activités de correction des évaluations menées en classe s’intéressent le plus souvent aux critères de réussite des produits. Ces séances se réduisent généralement à une correction collective des « fautes » commises par les apprenants loin de la logique de cette composante qui doit s’intéresser expressément à la collecte des preuves de l’apprentissage et aux démarches de l’apprenant ; Le statut de l’erreur, l’interprétation des données, et la mise en application des procédures correctives sont des éléments fondamentaux en évaluation formative.

La crainte de perturber le bon déroulement des enseignements sous la pression du programme éloigne l’évaluation de sa fonction comme étant un instrument au service du processus enseignement/apprentissage ; Les enseignants adaptent rarement leur pratique post-correction en fonction des progrès des apprenants, et les groupes des classes restent fidèles à la logique de locomotive : les excellents poursuivent leur excellence soutenus par l’enseignant en respectant leur rythme au détriment des apprenants en difficulté qui ne sortent que rarement de leur situation difficile.

Des efforts doivent être déployés pour rendre l’évaluation un moyen pour aider les apprenants à se positionner vis-à-vis des objectifs pour concrétiser le glissement paradigmatique souhaité vers une approche en faveur de l’apprentissage, et réduire par conséquent les inégalités entre apprenants.

Pour favoriser la participation des apprenants à l’évaluation de leurs apprentissages, et pour former un apprenant responsable, autonome, et réflexif, l’enseignant doit favoriser les démarches d’autoévaluation et de co-évaluation et proposer des formes de remédiation respectant les différences des niveaux d’apprentissage et susceptibles de compenser les écarts entre ses apprenants. Pourtant, en plus des inégalités dans les stratégies pédagogiques, peu d’apprenants ont accès par exemple à une correction et remédiation individualisées, ce qui laisse penser que le référentiel « enseignement » dont une attitude culpabilisante règne en cas d’erreur, et la position attentiste que prend « l’élève » semblent encore présents et dominants sur la pratique enseignante rendant ainsi l’évaluation non signifiante pour l’apprenant, comme elle l’empêche à remplir sa fonction comme outil de rationalisation de l’agir enseigner, et peut conséquemment conduire au gâchis du potentiel humain.

De ce fait, l’évaluation formative doit fournir à l’apprenant régulièrement les moyens de progresser dans son apprentissage, et l’aider à mieux apprendre par des actions de remédiation orientées de manière productive, issues d’une bonne compréhension de son cheminement et un bon diagnostic que traitement de ses dysfonctionnements.

Il est admis actuellement que les inégalités des carrières scolaires sont issues des inégalités dans les apprentissages dues entre autres au mode de l’évaluation qui a un poids considérable.

Cependant, cet article se veut comme objectif d’ouvrir des pistes de réflexion et d’aider les acteurs de terrain à repenser leur pratique en matière évaluation formative par la clarification de ses finalités et ses outils, pour un agir évaluer/enseigner plus juste et une productivité éducative augmentée, étant convaincu que l’évaluation formative est un facteur favorable d’une part à la réussite d’un plus grand nombre d’apprenants, et d’autre part, à réduire les écarts de performance dus aux disparités des niveaux socio-économiques et/ou des parcours antérieurs des apprenants…